Analyse : À L'Abri du Besoin de Norman Rockwell

Gilles Farina
Publié le 4 Septembre 2023
Analyse : À L'Abri du Besoin de Norman Rockwell

Aujourd'hui Museum TV vous propose de découvrir l'analyse de l'un des tableaux les plus célèbres de Norman Rockwell : "A l’Abri du Besoin", 1942.

 

Norman Rockwell, A l’abri du besoin, 1942

1. Le peintre de la vie américaine

Norman Rockwell est un artiste américain célèbre pour ses peintures et illustrations. Il a collaboré avec de nombreux magazines, illustrant des textes et des histoires. Sa collaboration la plus célèbre est incontestablement avec le magazine Saturday Evening Post, pour lequel il a travaillé de 1916 à 1960. Il est souvent considéré comme hyperréaliste dans son style pictural. Ses œuvres ont une forte dimension de « storytelling », c'est-à-dire qu'elles racontent une histoire et sont narratives. Rockwell s'est également illustré dans la caricature, produisant certaines œuvres teintées d'humour.

2. Thanksgiving

 

Jean Leon Gérome Ferris, Le Premier Thanksgiving, 1863-1930

L’œuvre « A l’abri du besoin » représente une scène traditionnelle de la vie américaine des années 30-40. Il s’agit du repas de Thanksgiving, qui est tout aussi important que Noël pour les américains. Cela n'est pas mentionné clairement dans le titre de l’œuvre. Cependant, la présence de cette énorme dinde rôtie permet de le déduire facilement. En outre, la dinde rôtie est à Thanksgiving ce que les crêpes sont à la Chandeleur ! A l’origine, cette fête était religieuse et nationale. Si elle reste une institution encore maintenant, l’aspect religieux s’estompe de plus en plus. Il s’agit plutôt d’une fête familiale, d’une occasion de se retrouver autour d’un bon repas.

3. Les Quatre Libertés

Le tableau de Norman Rockwell est en réalité l'une des "Quatre Libertés", une série de quatre œuvres. Elles sont inspirées d'un discours de Franklin Roosevelt, prononcé le 6 janvier 1941 lors de son discours sur l'état de l'Union. En pleine Seconde Guerre mondiale, Roosevelt se positionne comme défenseur des droits de l'Homme. Face à la terreur instaurée par l'Allemagne nazie en Europe, il évoque une vision d'un avenir paisible, basée sur quatre libertés fondamentales : la liberté de parole, de culte, de vivre à l'abri de la peur et à l'abri du besoin.

 

Liberté de Parole

 

Liberté de Culte

 

A l’Abri de la Peur

 

A l’Abri du Besoin

« Dans l’avenir, que nous cherchons à rendre sûr, nous attendons avec impatience un monde fondé sur les quatre libertés humaines essentielles » F.D. Roosevelt

Ce discours révèle deux aspects importants : d'une part, le président dépeint une vision optimiste de l'après-guerre, cherchant à instaurer une image idéalisée et rassurante de l'Amérique et de son mode de vie. D'autre part, il annonce, bien que de manière indirecte, l'entrée imminente des États-Unis dans le conflit. Se positionnant comme défenseurs de la liberté, les États-Unis n'ont d'autre choix que de s'opposer à l'Allemagne nazie.

Pour illustrer ce discours, le Saturday Evening Post fait appel à Rockwell pour des illustrations. Il lui faut sept mois pour achever ces œuvres. Après avoir reçu l'approbation de Roosevelt lui-même, elles sont publiées entre le 20 février et le 13 mars 1943. L'accueil est phénoménal. Suite à cette publication, 2,5 millions de brochures sont imprimées. Jusqu'à la fin de la guerre, environ 4 millions d'affiches des "Quatre Libertés" voient le jour. Les œuvres de Rockwell, employées comme une forme de "propagande" positive pendant la guerre, encouragent les civils à contribuer financièrement à l'effort de guerre. Par la suite, elles sont reproduites sur des timbres, dans les manuels scolaires, etc. Ces œuvres jouent un rôle majeur dans la notoriété de l'artiste.

4. Tableau réaliste ou idéaliste ?

Norman Rockwell est reconnu pour son souci du détail. En tant qu'artiste réaliste, il accorde une grande importance à la minutie des expressions et des gestes. Rien n'est laissé au hasard dans son travail, permettant ainsi à ses œuvres de toucher un large public. Les spectateurs peuvent aisément s'identifier aux sujets qu'il représente. Dans "À l'abri du besoin", il dépeint avec une finesse remarquable les expressions des visages, les mets sur la table, et en particulier la dinde.

Mais au-delà de l’aspect réaliste, Rockwell idéalise aussi beaucoup ses tableaux. Rappelons leur utilisation pour la propagande pendant la guerre, ce qui en dit déjà beaucoup. Il peint une Amérique idéalisée qui fait rêver tout le monde. Des sourires, de l'harmonie, de l'abondance servent à montrer qu'ils ne manquent de rien et qu'ils vivent une vie pleine de joie. Or, en temps de guerre, où les restrictions étaient de mise et où l’horreur frappait, cette vision de joie et d'abondance crée un décalage. Alors, malgré une technique réaliste, le sujet est peut-être exagéré, idéalisé. Il tend plutôt à montrer l’idée d’un avenir meilleur que la vie réelle de 1942.

5. Temps de Guerre

Ce n'est plus un secret : l'œuvre a été réalisée durant la Seconde Guerre Mondiale. Norman Rockwell est un peu le Jacques-Louis David des temps modernes. En effet, les deux hommes ont pris part à la guerre grâce à leurs pinceaux. Même s'ils ne se sont pas rendus sur les zones de combats, ils ont propagé et pris part à la guerre par l'art.

David a, par exemple, représenté le Serment du Jeu de Paume en 1791, au moment de la Révolution, montrant ainsi sa participation à cet événement. À travers cette œuvre, il relate un fait historique mais en fait presque un objet de propagande, comme s'il appelait tous ceux qui voient son œuvre à se révolter aux côtés de Robespierre, Mirabeau et cie.

 

David, Le Serment du Jeu de Paume, 1791

Norman Rockwell suit quelque peu ce principe. Il peint une idéalisation de la vie américaine et des libertés de telle sorte à convaincre le peuple de se mobiliser, de contribuer au financement de la guerre et de s’engager dans l’armée. Ses peintures et illustrations sont sa contribution aux efforts de guerre.

Dès la Première Guerre Mondiale, Rockwell s'engage pour son pays. Il voulait aller sur le front, mais son sous-poids l'en empêchait.

6. L'avez-vous remarqué ?

Étant très certainement trop obnubilés par cette énorme dinde, vous n'aviez peut-être pas prêté attention à cette petite tête qui nous regarde avec un air malicieux. Et bien, il s'agit tout simplement de Norman Rockwell nous invitant très certainement à venir partager ce repas de Thanksgiving !

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